Réserve Naturelle de Scandola : une référence mondiale en matière de protection de la biodiversité
La réserve naturelle de Scandola et surtout sa partie intégrale (80 ha) sont considérées par la communauté scientifique comme une référence mondiale en matière de protection de la biodiversité. Entre les falaises de granit rouge escarpées, les pitons sculptés et les criques enchanteresses, se cachent nombre d’espèces remarquables dont certaines ont quasiment disparu de la Méditerranée. «Plus de 450 espèces d’algues et près de 200 espèces de poissons ont été recensés dans la réserve et chaque années de nouvelles espèces sont découvertes» avance non sans satisfaction Jean-Marie Dominici, chef de projet de la réserve depuis 23 ans. «On y trouve encore des espèces devenues rares en Méditerranée tels que la badrêche, le denti ou encore le corb, sans compter le mérou dont on a compté pas moins de 160 individus concentrés sur 150 mètres !» s’enflamme le gardien des lieux. «C’est la concentration de faune la plus élevée en terme d’espèces et de biomasse et toutes les tranches d’âge y sont représentées. Les poissons adultes ayant atteint la taille maximale sont bien présents, ce qui est plutôt rare en Méditerranée.»
Des trottoirs à lithophyllum les plus longs d’Europe
Bien que montagnard dans l’âme, Jean-Marie Dominici connaît par coeur les passages entre les pitons et rochers de la réserve. A bord du Zodiac, il se fraye habilement un chemin dans les grottes, passe sous les arches de rhyolithe rouges et longe les hautes falaises qui dégringolent théâtralement dans l’eau azure. Mais ceux sont les fameux trottoirs à lithophyllum dont il est le plus fier. Cette construction formée par des algues calcaires dans la zone médiolittorale de la falaise, à savoir la zone de déferlement, constitue pour lui le clou de la visite. Et pour cause, ces trottoirs tantôt immergés, tantôt submergés, atteignent jusqu’à deux mètres de large à certains endroits ! « Ces formations se sont construites sur plus de mille ans, c’est le record d’Europe ! » précise le gardien avec une euphorie non contenue. Ces magnifiques curiosités de la nature abritent une biodiversité unique capable de surmonter des périodes régulières d’assèchements. Par soucis de protection, Jean-Marie Dominici a d’ailleurs fait une demande auprès de la DIREN pour interdire l’accès de certaines criques aux jetskis et bateaux. La réserve est également connue pour ses spectaculaires orgues basaltiques couchés. Point d’orgue de la réserve, ces prismes rhyolitiques horizontaux uniques au monde témoignent du basculement de la plaque tectonique et de la position primitive de la Corse.
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Coralligène et corail rouge : des écosystèmes spectaculaires
Dès la mise à l’eau dans les zones autorisées à la baignade, les randonneurs palmés sont entourés de bancs de saupes, de sars, d’oblades et autres rougets, et peuvent admirer nombre de patelles bleues et d’oursins noirs solidement accrochés aux roches. Au-delà de 30-40 mètres, le coralligène est l’écosystème majeur de Méditerranée. Cette construction d’algues calcifiées de couleur rose pâle à violet abrite un nombre considérable d’espèces et constitue un des principaux réservoirs de biodiversité en zone littorale. Dans cette biocénose extrêmement riche, le long des tombants, les plongeurs peuvent admirer les spectaculaires gorgones et leurs éventails ramifiés rouges, oranges ou blancs, qui contrastent avec les axinelles, ces éponges en forme de candélabre à la splendide robe jaune pouvant atteindre jusqu’à un mètre.
Succès de la recolonisation du corail rouge
Encore un peu plus bas, se trouvent les précieuses et rares colonies de corail rouge appelé le « sang de la Corse ». Après des siècles de récoltes dévastatrices et notamment avec la redoutable croix de Saint-André, une poignée de corailleurs professionnels exercent encore aujourd’hui leur métier. Seuls les pêcheurs licenciés sont autorisés à prélever ce joyau convoité à partir de 50 mètres et dans des conditions respectueuses ( quotas, des jachères et des tailles minimales ) de la préservation de l’animal qui observe une croissance lente. Devenu très rare en Méditerranée, le corail rouge (Corallium rubrum) s’épanouit pourtant bien dans la réserve de Scandola dès la zone des 15 mètres et notamment grâce à l’ingéniosité de Jean-Claude Romano, directeur de recherches au CNRS qui a imaginé un procédé permettant la recolonisation de cette espèce fortement menacée par le réchauffement climatique. « Il suffit de fixer un morceau de corail sur un support en kevlar et de visser l’ensemble sur la roche » explique le gardien qui n’a pas perdu une miette de cette aventure scientifique passionnante, « ça fait un peu bricolage mais ça marche ! Et la recolonisation est encore plus rapide dans les endroits sombres, où le corail se développe plus vite pour aller chercher la lumière… » Une fois n’est pas coutume, le laboratoire vivant de Scandola est sous les feux de la rampe. Inutile de préciser que la nouvelle de ce procédé inventif qui « ressuscite » le corail rouge n’intéresse pas uniquement la communauté scientifique…
Laboratoire vivant de la biodiversité
Véritable laboratoire naturel, la réserve constitue un site préservé exceptionnel idéal pour mener toute sortes d’observations scientifiques sur les poissons, les algues, les coraux ou les oiseaux. «Nous sommes sollicités par de grandes universités françaises, européennes et américaines ainsi que par de grandes sommités scientifiques. Pour être efficaces, il est donc impératif de donner la priorité aux actions les plus urgentes » précise Jean-Marie Dominici qui, avec son équipe de gardiens, a mis en place de multiples stations sous-marines afin d’établir des suivis scientifiques réguliers sur l’évolution de la salinité des eaux, des températures, des courants ou encore de certaines espèces protégées.
Une dizaine de travaux scientifiques inféodés à des problèmes de gestion de la réserve sont ainsi menés chaque année par des groupes de travail scientifiques épaulés par les agents de la réserve. Plusieurs herbiers de posidonie et de cystoseire sont ainsi suivis depuis la fin des années 1970, tandis que le mérou brun a fait l’objet d’un programme de repeuplement…
De 6 mérous en 1975 à plus de 600 aujourd’hui !
Plus de 600 mérous et plusieurs centaines de corbs ont été recensés 36 ans après la mise en place de la réserve créée en 1975. A l’époque, seulement 6 mérous avaient été signalés lors du premier inventaire et aucun corb n’avait été repéré dans cette zone de 1000 ha alors surpêchée. Outre la concentration exceptionnelle de mérous, principalement présents dans les 75 ha de la réserve intégrale, les biologistes du Groupe d’Études du Mérou (GEM) ont remarqué la présence de 5 espèces différentes, un fait exceptionnel dans cette région. Ils ont par ailleurs noté une nette amélioration au niveau de la répartition des juvéniles et des adultes, ces derniers se faisant plus rares. Ces résultats très encourageants sont considérés comme significatifs de la bonne santé de la réserve. Situé en haut de la chaîne alimentaire pyramidale, le mérou est utilisé comme indicateur de gestion pour les Aires Marines Protégées.
Mais c’est l’étude sur les impacts du changement climatique et de la pollution atmosphérique sur le milieu marin qui est l’une des études les plus cruciales, Scandola étant l’unique site d’Europe occidentale à figurer dans ce programme international d’envergure. « Les coups de chaud de 2003 ont eu des impacts nocifs sur certains écosystèmes marins très fragiles tels que les cnidaires, les gorgones et le corail rouge » détaille le gardien, « des équipes scientifiques du CNRS de Marseille et de l’université de Barcelone ont constaté des nécroses qui ont entrainé des mortalités correspondant aux pics de températures très inquiétants relevés à 30 mètres de profondeur cette année là. »
L’effet réserve reconnu unanimement
Chaque été, près de 300 000 visiteurs séjournent dans la région pour admirer la réserve de Scandola, qui après un premier accueil mitigé a été rapidement acceptée par la population locale. A commencer par les neuf sociétés de promenade en bateau qui ne désemplissent pas à chaque saison, et par le centre de plongée Incantu de Galeria, qui est parvenu à se hisser au deuxième rang des centres de plongée français. Quant aux douze pêcheurs professionnels, ils sont les premiers convaincus par «l’effet réserve» et réclament même son extension. A l’exception de la zone intégrale, ils sont autorisés à pêcher dans la réserve en pratiquant une pêche sélective et en respectant des quotas et tailles spécifiques.
Un projet d’extension de la réserve pour freiner la surfréquentation touristique
«Au bout de dix ans de réserve, le rapport de croissance de la biomasse des poissons était déjà passé de 1 pour 10 !» souligne Jean-Marie Dominici avec un sourire de satisfaction tout en regrettant néanmoins le retard du projet d’extension recommandé par le milieu scientifique qui est en cours depuis six ans et qui devrait inclure une réserve intégrale quatre fois plus grande que l’actuelle d’une superficie de 80 ha. «Si l’on veut faire de la conservation, il faut s’en donner les moyens» conclut le gardien de ces lieux magiques soulignant par ailleurs le vide juridique au niveau de la réglementation des activités touristiques au sein de la réserve. « La réglementation n’a pas évolué depuis la création de la réserve en 1975, et à cette époque, il n’y avait ni bateau de promenade, ni charter, ni centre de plongée, ni jet skis… Toutes ces activités ont un impact dommageable sur la biodiversité de Scandola et si on ne fait rien, la situation risque de devenir irréversible dans les 10 années à venir. »
Si elle est saisonnière, la fréquentation touristique devient néanmoins de plus en plus importante, avec notamment une augmentation de la plaisance qui pose des problème par les déchets rejetés en mer, le dérangement de la faune et surtout par les ancrages anarchiques qui dégradent les fonds… Or, du fait de sa situation relativement isolée, la réserve de Scandola est difficile à surveiller. Le Parc Naturel Régional Corse s’oriente donc de plus en plus vers le tourisme durable pour valoriser la biodiversité tout en confortant le caractère de sanctuaire de la partie intégrale. Réglementation à respecter.
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