Admirer 14 espèces d’albatros à proximité des côtes de Kaikoura
Le roi des océans aux ailes de géant
Une meute de becs et de plumes s’agite à l’arrière du bateau dans un brouhaha tonitruant couvert par les cris perçant des Albatros et des Pétrels et par les piaillements incessants des sternes. Malgré l’attitude agressive des Pétrels géants (Macronectes giganteus) qui gonflent leurs plumes, battent vigoureusement des ailes et pousse des braillements déchirants, les albatros dominent la horde sauvage et s’approprient la place de choix près de l’appât ; on n’en attendait pas moins du roi des océans…
Il survole les océans sans relâche et presque sans battement d’ailes
Gary pointe du doigt un Albatros de belle taille qui se trouve à un mètre à peine de nous. « C’est une femelle hurleur qui est grosse ; on peut le voir grâce à son bec et ses pattes qui prennent une couleur rouge vif » nous précise le capitaine qui connaît si bien ses amis quotidiens qu’il est même parvenu un jour à attraper une femelle avec une patte cassée pour la soigner ! Après avoir jeté un coup d’oeil sur le bec imposant des albatros, on regarde Gary avec encore plus de respect… Avec plus de 25 années de pêche hauturière dans les mers australes et près de 14 ans d’excursion auprès des oiseaux pélagiques, notre capitaine a acquis une connaissance unique de ces animaux dont il est parvient avec le temps à identifier certains individus. « La plupart des albatros observés à Kaikoura ont voyagé des milliers de kilomètres depuis leur site de ponte pour atteindre ce site abondant en nourriture. L’albatros hurleur est capable de survoler sans relâche l’océan austral, de jour comme de nuit. » En effet, l’une des caractéristiques majeures de l’albatros est sa capacité à voler sur de longues distances sans battre des ailes.
Le secret des vols « long courrier » des albatros
Mais quel est donc son secret ? Gary nous explique qu’il utilise deux méthodes de vol rapides et économes en énergie qui lui permettent de parcourir des kilomètres sans éprouver le besoin de se nourrir en permanence. Tous les oiseaux de mer utilisent le « vol de pente » qui consiste à raser les crêtes des vagues pour se servir de la déflexion du vent créée. Mais les Albatros utilisent surtout la technique dite « vol de gradient » pour gagner de l’énergie en traversant de manière répétitive la limite entre deux masses d’air ayant des vitesses distinctes. Ils planent ainsi dynamiquement en plongeant dans les creux des vagues et en remontant au-dessus de la crête de la houle.
La dualité de l’abatros si majestueux en mer et si gauche à terre
Nous profitons de cette chance inouïe de pouvoir admirer en direct quelques magnifiques vols planés de différentes espèces d’Albatros qui suivent l’évolution du bateau. Mais autant le vol grandiose de ces oiseaux inspire le respect, autant leur amerrissages et décollages prêtent à sourire… Si ses courtes pattes aux larges pieds palmés lui permettent une nage efficace, elles lui donnent une démarche très maladroite en particulier lors de ses décollages. Gêné par son envergure de plus de 3 mètres (!), il doit courir sur quelques dizaines de mètres avant de parvenir à s’élever puis à s’envoler. Et de nous remémorer les strophes de Baudelaire évoquant la dualité de l’Albatros «… Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !… »
Baudelaire, le poète maudit, comparait la place du poète dans la société à celle de l’albatros : majestueux dans le ciel, son élément, mais ridicule sur terre. De même, le poète se situe au-dessus du commun des hommes avec ses poèmes, mais est souvent porté en dérision par la foule…
Près de 100 000 Albatros tués chaque année
C’est durant un voyage à la Réunion, alors âgé de 20 ans que le poète prend connaissance de la pêche traditionnelle à l’albatros perpétuée par les marins de l’époque qui considéraient l’Albatros comme un oiseau de mauvais augure, rappelant les hommes tombés à la mer qui étaient rarement repêchés et qui étaient attaqués par les Albatros… L’instrument de pêche triangulaire – une ligne portant un liège et un triangle de fer amorcé à un bout de viande – servait d’ailleurs d’emblème à l’association des anciens marins cap-horniers. Ces oiseaux étaient également chassés pour leurs plumes et parfois pour leur viande.
Un siècle et demi plus tard, ce commerce a cessé et l’instrument de pêche triangulaire n’est plus utilisé, mais une autre pêche bien plus dangereuse menace plusieurs espèces d’Albatros d’extinction : la pêche à la palangre qui consiste en lignes hameçonnées sur des dizaines de kilomètres dans lesquels les oiseaux se prennent pour finir noyés. BirdLife International estime à plus de 100 000 le nombre d’Albatros tués chaque année par la pêche à la palangre… Au final, 18 des 22 espèces d’Albatros de la planète sont aujourd’hui menacées dont 2 sont en danger d’extinction dans les Terres australes et antarctiques françaises. Des mesures conservatoires ont été mises en place en haute mer par les Taaf, comme la pratique de la pêche exclusivement de nuit (les albatros se nourrissant en journée), une réglementation stricte et un lien permanent avec les armateurs exploitant les zones concernées. Ces efforts ont permis de mettre fin à la mortalité des albatros causée par la pêche légale dans les eaux françaises, mais, au delà, la menace reste entière.
Un endroit unique au monde pour l’observation des animaux
« Vastes oiseaux des mers… aux ailes de géant… » Nous suivons les vols planés majestueux des albatros au-dessus de la mer qu’ils effleurent à quelques millimètres ou plus en altitude avec les montagnes en arrière-plan.
Le spectacle est d’une réelle pureté ! Pas étonnant que cet oiseau pélagique soit symbole d’évasion, d’aventures et d’horizons lointains et qu’il ait inspiré tant de poètes, voyageurs et marins…
Captivés par ces rencontres animalières captivantes, nous réalisons cette chance unique d’avoir pu admirer pas moins de sept espèces d’albatros en deux heures trente, à moins de dix minutes du port, en compagnie d’un pêcheur cap-hornier reconverti en guide naturaliste… Garry que nous appelons dorénavant familièrement par son surnom « Gazza », nous fait le point sur la multitude d’espèces observées. Il faut savoir que cinq des six espèces de grands albatros peuvent être observés à Kaikoura, dont les trois espèces d’Albatros hurleur (diomedea exulans, gibsoni, antipodensis) le royal du nord et le royal du sud.
Des quatre genres d’Albatros existants, nous avons pu observer diverses espèces des deux genres principaux, à savoir la famille des grands albatros diomedea et celle plus petite de l’hémisphère sud thalassarche. Les individus de ce dernier genre se distinguent facilement par leur incroyable photogénie. Parmi les grands albatros, les Albatros hurleur et royal nous ont rendu visite accompagnés de leurs congénères de Buller, de l’Antarctic du sud, à cape blanche, à sourcil noir ou encore de Salvin’s.
Sans oublier les autres espèces d’oiseaux marins, tels que l’imposant Pétrel géant Antarctique, le Pétrel noir, le Pétrel à blanc menton, le timide Puffin de Buller, le Puffin Hutton endémique de la région, les jolis Damiers du Cap, les élégantes mouettes à bec rouge et à bec noir…
S’il est un endroit sur terre où les opportunités de rencontres les plus surprenantes avec les animaux marins sont aussi fréquentes, il s’appelle… KAIKOURA !