Découverte de l’exubérante vie sauvage du Doubtful Sound
A mesure que le Breaksea Girl fend les eaux laquées et sombres du fjord, les passagers s’imprègnent de l’ambiance onirique des lieux. Dans un silence religieux, le bateau entre dans cette sorte de cathédrale géante naturelle enserrée de murailles émeraude aux sommets enneigés. Aucune route, aucune habitation. Seuls les rayons du soleil parviennent à pénétrer la dense forêt tropicale accrochée à flanc des falaises escarpées où s’enchevêtrent lianes, mousses et lichens verdâtres et argentés. Selon la légende maorie, ce gigantesque fjord aurait été construit par le demi Dieu Tu Te Raki Whanoa qui y creusa trois longs bras de mer à l’aide d’une herminette afin de réaliser des refuges en cas de tempêtes. Malgré cette légende, le capitaine James Cook lors de son passage en 1770, ne s’aventura pas dans le fjord qui ne lui inspirait pas confiance. Il mouilla son bateau Endeavour juste à l’entrée du fjord et le nomma « Doubtful ».
Pionniers de l’écotourisme dans le Fiordland
Au-dessus de la canopée s’élèvent les majestueux hêtres et conifères podocarp millénaires où s’accrochent quelques nuages repus. Des chutes d’eau dégringolent depuis plus de 600 mètres de haut le long des parois vertigineuses des montagnes, comme autant de témoins de l’humidité extrême de la région dont les précipitations annuelles peuvent atteindre jusqu’à 8 mètres ! « Durant la saison des pluies, des centaines de chutes d’eau transforment le fjord en un gigantesque mur d’eau ; un spectacle des plus fascinants » s’enthousiasme Ruth Shaw en jetant un air complice à Lance, son mari et notre skipper. Les paysages du Doubtful, ces pionniers de l’écotourisme les connaissent sous toutes les saisons et toutes les couleurs. « Sous la pluie, le soleil, la neige ou dans la brume… Le fjord est toujours aussi surprenant de beauté… » Dans le but de sensibiliser le grand public à la préservation de cet écosystème unique et fragile, Ruth et Lance ont lancé, au début des années 1990s, Fiordland Ecology Holidays, une compagnie de voyages éco touristiques orientés sur la nature, la conservation et la recherche, couvrant l’ensemble de Fiordland et des îles Subantarctiques. Ils n’auraient pu mener à bien ces éco tours maritimes sans le Breaksea Girl, une fausse goélette avec voiles à étai de 20 mètres pour lequel ils ont eu un véritable coup de foudre. Un bateau qui se distingue autant par ses capacités de navigation que par son âme marine chaleureuse et attachante, un bateau à bord duquel on se sent en sécurité et en harmonie avec la mer.
Une expérience naturaliste inoubliable
Durant 20 ans, le couple d’environnementalistes actifs a sensibilisé des milliers de touristes à l’écologie du Doudtful Sound offrant à leurs hôtes une expérience naturaliste inoubliable grâce à leurs qualifications en matière de navigation et de tourisme mais aussi grâce à leur passion communicative pour l’environnement. Fort de sa collaboration avec le ministère de l’environnement néo-zélandais en tant que capitaine de navire de recherche, Lance a navigué et plongé dans les eaux néo-zélandaises auprès de scientifiques, d’explorateurs et de cinéastes de renom tels Jacques-Yves Cousteau, David Bellamy ou encore le National Geographic.
Après cette période passionnante d’aventures maritimes, Ruth et Lance ont vendu le Breaksea Girl afin de poursuivre plus paisiblement leur engagement auprès d’ONG environnementalistes telle que Forest & Bird. Depuis, aucun opérateur n’a malheureusement pris la relève de Fiordland Ecology Holidays et le Breaksea Girl est devenue la propriété en 2009 de Real Journey, premier employeur touristique de la région et spécialiste des excursions du Fiordland à la journée ou de croisières de deux à trois jours. Real Journey soutient les communautés locales et collabore activement avec le DOC pour la conservation des espèces menacées du Fiordland et la restauration de l’habitat. La compagnie a d’ailleurs été récompensée pour ses efforts par l’obtention de prestigieux prix nationaux en faveur du tourisme et de l’environnement. Il faut donc espérer qu’elle donne suite aux écotours qui font cruellement défaut dans cette région pourtant reconnue pour sa biodiversité si riche et si singulière.
Un univers où règnent l’eau, les végétaux et les animaux
Engloutie dans la brume, la forêt tropicale suspendue à flanc de montagne nous plonge dans une atmosphère mystérieuse. De la roche de granit escarpée s’échappent les racines enchevêtrées des arbres en quête d’éléments nutritifs trouvés dans l’accumulation des feuilles mortes. Un univers régit par l’eau et les végéteaux qui fusionnent dans une union éternelle et s’affrontent dans un combat perpétuel. Pas étonnant que Peter Jackson ait choisi ces paysages grandioses et ténébreux pour tourner des séquences clés du Seigneur des Anneaux…
La lutte perpétuelle pour la vie
Ruth attire notre attention sur une partie dénudée de la canopée et nous explique que la végétation a été arrachée de la montagne par une avalanche de forêt. Face à nos regards interrogateurs, la naturaliste nous explique : » les avalanches se déclenchent ici suite à de fortes pluies, les racines des arbres devenus trop lourds perdent leur emprise sur le sol rocheux et escarpé, entraînant dans leur chute tous les arbres situés au-dessous et formant une impressionnante avalanche. « Un autre signe de la lutte perpétuelle pour la vie dans un décor d’apparence pourtant si paisible… Mais dans cette région humlde, la nature reprend rapidement ses droits et les surfaces lisses se régénèrent rapidement. On peut d’ailleurs observer de nouveaux tapis de lichens et de coussins de mousses, constituant une base parfaite pour faire pousser les semis d’arbustes et d’arbres. Les cicatrices sont rapidement recouvertes et la forêt se régénèrent ainsi continuellement.
La population de dauphins la plus unie au monde
Au sein de ce somptueux décor sauvage et préservé, il est possible de croiser l’une des populations de grands dauphins (Tursiops truncatus) les plus australes du monde. Cette colonie comptant une soixantaine de dauphins des deux sexes a fait l’objet de diverses études menées par des biologistes marins spécialistes des mammifères marins, tel David Lusseau, Karsten Schneider, Oliver J. Boisseau, Patti Haase et le couple Elisabeth Slooten et Steve M. Dawson.
Parmi les nombreuses études, celle de David Lusseau, chercheur de l’université d’Aberdeen se concentre sur les mœurs particulières de cette petite population isolée de grands dauphins qui se distingue notamment par son degré élevé de stabilité sans équivalent connu dans les études sur les sociétés de dauphins.
» Contrairement à la plupart des groupes de dauphins au sein desquels les membres se dispersent facilement hors du groupe natal, aucune émigration n’a été constatée ici, pas plus que la moindre intégration de nouveaux venus arrivés de l’extérieur, sur une période d’au moins 7 ans. Tous les membres de cette communauté sont donc associés de manière très étroite et se connaissent depuis des années. La structure de cette communauté s’avère étonnamment stable dans le temps, comparée à d’autres populations de Tursiops observées ailleurs, et les compagnonnages de très longue durée semblent prévaloir dans l’organisation de ce groupe « . Le chercheur suggère que ces liens stables et pérennes se sont établis dans un contexte d’adaptation aux contraintes écologiques propres aux fjords, reconnus comme un écosystème pauvre en ressources énergétiques. La survie dans un tel milieu nécessite certainement davantage de stabilité sociale.
Une faune sauvage unique au monde
Outre les grands dauphins, les croisiéristes peuvent également rencontrer les otaries à fourrure se prélassant sur les rochers ou jouant entre les kelps, ainsi que les rares manchots à tête jaune et les petits manchots bleus. Dans les eaux mi-douces mi-salées, les plongeurs peuvent observer de nombreuses espèces de poissons, d’anémones de mer, d’étoiles de mer et de corail. Le fjord est d’ailleurs connu pour ses coraux noirs, une espèce vivant en eau profonde que l’ont peut admirer ici exceptionnellement à une dizaine de mètres.
Un mouillage idyllique pour s’imprégner de la magie du fjord
Comme la lueur du jour faibli, nous entrons dans un bras du fjord First Arm, afin d’y trouver un refuge pour la nuit. Lance s’arrête sur un de ses mouillages de prédilection d’où nous pouvons admirer à loisir le paysage somptueux des alentours et écouter les chants d’oiseaux qui s’en échappent. Ruth nous fait découvrir ses connaissances en ornithologie, imitant les cris de certaines espèces qui lui reviennent en écho tel le morepork ou « ruru » en maori (Ninox novaeseelandiae), le seul hibou survivant natif de Nouvelle-Zélande. On entend son cri mélancolique qui semble dire « more pork » souvent au crépuscule et durant la nuit. Nous entendrons également le puissant cri « keee-aa » du Kéa, (Nestor notabilis), une espèce de perroquet montagnard endémique de Nouvelle-Zélande. Ruth distinguera également le weka (Gallirallus australis), une espèce de grand râle qui vit en Nouvelle-Zélande et qui est malheureusement en situation de sérieux déclin. Excellent nageur, le weka ne vole pas. Malheureusement très curieux, il représente un gibier de choix facile à capturer. Mais les Maoris y sont très attachés et le Weka fait l’objet de mesures de protection très restrictives par le DOC.
Nous écoutons pensivement le cris de tous ces oiseaux endémiques dont les populations déclinent drastiquement et dont certaines, comme le moa, ont disparu à jamais.
Le plan d’eau est immobile, le silence n’est troublé que par le clapotis de l’eau le long de la coque et le temps semble s’arrêter dans ce lieu magique qui nous remplit d’une indescriptible plénitude. Le lendemain, nous nous retrouvons sur le pont dès l’aube pour assister à l’un des plus beaux levers de soleil qu’il nous est donné de voir sur terre.